L'artiste et la mort - Freddie Mercury (4/4)
- Pierre-Edouard Grego
- 17 juil. 2023
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 oct. 2023
Après avoir parlé de David Bowie, de Johnny Cash, et de George Harrison, voici l'ultime article qui parle de Freddie Mercury, le chanteur de Queen.
Freddie Mercury, le plus connu
Des quatre artistes qui sont abordés dans cet article, la mort de Freddie Mercury est certainement la plus connue. Son décès prématuré l’a fait entrer dans la légende, au même titre que d’autres artistes fauchés avant l’heure comme John Lennon ou Tupac.
Pour mieux comprendre le dernier album de son groupe, Queen, il est important de comprendre la posture de l’artiste vis-à-vis de sa maladie.
Séropositif depuis 1987, Freddie Mercury va osciller entre la volonté de renvoyer une image positive à son public et l’envie de parler de ce qu’il lui arrive.
C’est pour cacher les premières signes de sa maladie que l’artiste se laissera pousser la barbe pour le clip d’”I Want It All” en 1989.
En 1990, le groupe s'attelle à la préparation d’un dernier album, Innuendo. Lors de sa sortie, c’est un Freddie Mercury encore plus diminué qui demande à ce que les clips soient tournés en noir et blanc. Surmaquillé, il tente tant bien que mal de cacher la vérité, même si des rumeurs circulent déjà dans les médias. (Lien vers les dessous du tournage du clip ci-dessous)
Ce n’est finalement que le 23 novembre 1991 que l’artiste s’exprime au sujet de sa maladie :
"Following enormous conjecture in the press, I wish to confirm that I have been tested HIV positive and have Aids. I felt it correct to keep this information private in order to protect the privacy of those around me.
*
Suite à d'énormes conjectures dans la presse, je souhaite confirmer que j'ai été testé séropositif et que j'ai le sida. J'ai estimé qu'il était correct de garder cette information privée afin de protéger la vie privée de ceux qui m'entourent."
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"However, the time has now come for my friends and fans around the world to know the truth, and I hope everyone will join with me, my doctors and all those worldwide in the fight against this terrible disease.
*
Cependant, le moment est maintenant venu pour mes amis et fans du monde entier de connaître la vérité, et j'espère que tout le monde se joindra à moi, à mes médecins et à tous ceux du monde entier dans la lutte contre cette terrible maladie.”
***
Le lendemain, le 24 novembre, comme libéré d’un poids, Freddie Mercury s’éteindra.
Cette volonté de cacher l’inévitable et de nous en laisser que des indices est indispensable pour comprendre le dernier album de Queen, Innuendo.
Le titre même de l’album nous pose les bases du contrat que nous passons avec le groupe. Innuendo (insinuation en français) nous demande de chercher le double-sens, de trouver par nous-mêmes ce qui n’est pas explicite.
Aujourd’hui il paraît évident que cet album est l’adieu de Freddie Mercury, mais il est intéressant de noter qu’à la sortie du disque les critiques étaient mitigées, trouvant les chansons trop “joyeuses”. Nous analyserons aussi Mother Love, chanson qui devait figurer dans l’album mais retirée car Freddie Mercury était trop fatigué pour la terminer.
Allons donc au cœur du sujet. Qu’est-ce que veut nous dire Queen dans cet Innuendo ? Plusieurs thèmes ressortent de cet album. La folie et l'exubérance dominent une partie du disque, ces chansons étant composées par Freddie Mercury. Des paroles innocentes, fantasques et surréalistes que nous pouvons trouver dans I’m Going Slightly Mad. Si on ne se fie qu’au texte dans un premier degré pur, on peut imaginer une chanson légère et amusante. Freddie Mercury nous annonce qu’il est un bananier et qu’il voit un millier de jonquilles qui danse autour de lui, car en effet, il devient un tout petit fou.
Cependant, à l’écoute de cette chanson, l’auditeur ressent un sentiment de gravité. Structurellement Freddie Mercury utilise une forme cyclique avec l’utilisation d’un synthétiseur joué en arpège pour insister sur les accords. Ce procédé permet au chanteur de Queen de renforcer le côté fou à travers un leitmotiv qui va poursuivre la chanson au gré des variations musicales.
De plus, Freddie Mercury, connu pour la versatilité de sa voix, va contenir cette dernière afin de donner un côté monotone, bien loin de ce que nous imaginons pour de la folie. Ces détails apportent des indications importantes sur la réelle signification de la chanson.
Le dernier point, certainement le plus important, est l’utilisation d’un mode mineur à la chanson. L’auditeur comprend que cette folie n’est qu’apparente et permet de révéler le thème principal : la mort et la maladie.
Au lieu de parler frontalement de la mort comme Johnny Cash, Freddie Mercury reste fidèle à la maîtrise de son image, il ne devient “qu’un peu fou”. Si on reprend les mêmes paroles on en comprend alors la portée : le chanteur, bien conscient de son décès à venir, essaie de se convaincre d’un espoir, mais celui-ci ne vient pas.
Les jonquilles jaunes sont la symbolique d’un nouveau départ, d’un espoir, cependant cette espérance semble vaine. Les références à la maladie défilent au travers du texte, des jeux de mots remplis de cynisme pour Freddie Mercury :
"You're simply not in the pink my dear - To be honest you haven't got a clue
*
Tu ne te portes pas à merveille ma chère - Pour être honnête, tu n’en as pas la moindre idée"
***
"I'm one card short of a full deck - I'm not quite the shilling
*
Jeux de mots anglais pour expliquer qu’il manque un élément, une clé dans le rouage."
***
Freddie Mercury est résigné. Il sait qu’il lui manque quelque chose qui ne reviendra pas. On retrouve ce désespoir dans Mother Love, chanson tristement connue pour être sa dernière, celle que la chanteur n’a jamais pu terminer.
Co-écrite avec Brian May, elle est encore plus explicite.
"I'm a man of the world and they say that I'm strong - But my heart is heavy, and my hope is gone
*
Je suis un homme du monde et ils disent que je suis fort - Mais mon coeur est lourd, et mon espoir est parti"
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Comme pour conclure sa carrière et sa vie, cette chanson est remplie de références à d’autres paroles de Queen, comme cet exemple ci-dessous qui est une suite de Bohemian Rhapsody.
" Mama - I don't want to die - I sometimes wish I'd never been born at all / Mama please, let me back inside
*
Maman - Je ne veux pas mourir. - Parfois j’aimerai n’être jamais né / Maman s’il te plaît, laisse moi rentrer à l’intérieur."
***
Cependant on ne peut résumer l’album qu’à cette vision douloureuse de mort imminente. Dans ses derniers mois, Freddie Mercury insistait pour retourner en studio, pour chanter. Conscient de la fin qui arrive, il a affronté la maladie avec courage pour transmettre un peu de cette force. C’est ce qui ressort à travers de la chanson-titre, Innuendo (“oh we'll keep on trying - ‘Till the end of time”), et forcément avec The Show Must Go On.
Cette chanson qui conclut l’album est écrite en grande partie par Brian May, sur une thématique discutée en amont avec Freddie Mercury. Considérée comme l’adieu du chanteur à ses fans, elle est composée dans un crescendo constant. Chaque bout de la structure de la chanson est construit dans l’idée de maintenir une tension permanente qui appuie sur la force et l’espoir qui sont dans les paroles.
Dans TheShow Must Go On, les accords des couplets changent. Il est assez rare dans la musique pop-rock et même contemporaine de moduler deux couplets. D’autres exemples assez connus sont dans The Winner Takes it All d’Abba ou le refrain d’I Just Called to Say I Love You de Stevie Wonder. Ce procédé chez Queen nous permet d’insister sur la montée : d’un accord de si mineur nous montons à un accord de do dièse mineur. Ce changement ajoute de la tension à la chanson et permet de maintenir la sensation de progression constante.
La guitare de Brian May est utilisée dans un premier temps comme contre-mélodie à la voix de Freddie Mercury. Cette deuxième mélodie en arrière-plan de celle du chanteur permet d’insister et de nous focaliser sur les paroles. Elle nous permet aussi dans sa structure de maintenir une tension invisible : par l’utilisation d’une guitare “cachée”, l’auditeur n’est pas surpris par ce personnage qui prend de l’ampleur au milieu de la chanson. Brian May utilise une technique qu’on peut voir dans Comfortably Numb de Pink Floyd, l’idée de deux solos de guitare, toujours dans cette idée de crescendo. Un solo dans le rock est souvent significatif du climax de la chanson, ce point d’orgue qui donne de la couleur à cette dernière. L’auditeur, en entendant un premier solo de guitare est convaincu d’être au summum de la tension. Il arrive par ailleurs dans les alentours de trois minutes, moment où une chanson radio arrive à sa fin. Cependant , près cette partie instrumentale Brian May décide de mettre un pont en majeur pour reposer l’auditeur mais aussi pour le préparer à la suite. Ce n’est qu’une minute après le premier solo que le deuxième arrive, complété par la voix de Freddie Mercury, afin de donner un climax encore plus fort où l’auditeur est embarqué structurellement avec Queen.
Cette structure musicale complète des paroles qui résume la volonté du groupe et de Freddie Mercury. Même face à la mort, le chanteur continue de se battre, à garder le sourire face aux évènements les plus sombres avec force.
Car même si la mort est pour beaucoup synonyme de fin, Queen essaie de nous répondre avec courage.
"My makeup may be flaking - But my smile, still, stays on"
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