Ingmar Bergman est le scénariste réalisateur qui possède certainement l’une des filmographies les plus influentes de l’Histoire du cinéma. On retrouve des références de son œuvre chez David Lynch, Stanley Kubrick, François Truffaut, mais aussi dans la série Dallas, le Muppet Show ou encore un clip d’ABBA !
Le cinéaste a été nommé six fois à l’Oscar du meilleur scénario, deux fois en tant que meilleur réalisateur, faits assez rares pour des films écrits dans une autre langue que l’anglais. Il a aussi gagné trois Oscars du meilleur film étranger, six fois le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère, nommé cinq fois aux BAFTAs… bref, c’est du lourd.
Et pourtant, aujourd’hui, le grand public ne connaît pas ou mal l’œuvre du cinéaste suédois. Elle est souvent dépeinte à travers des films comme Le Septième Sceau ou Les Fraises Sauvages qui ne suffisent pas à résumer la carrière d’un réalisateur qui a réalisé une quarantaine de longs-métrages sur soixante ans.
C’est pourquoi j’ai eu cette idée de vous sélectionner cinq films dans l’immense filmographie du réalisateur et des les classer en fonction de leur accessibilité afin de vous aider à découvrir le travail du géant suédois.
Sonate d’automne (1978)
S’il faut trouver le film idéal pour commencer la carrière d’Ingmar Bergman, ce serait certainement Sonate d’automne. Dernier film d’Ingrid Bergman (aucun lien de parenté, Ingrid Bergman est connue notamment pour sa carrière hollywoodienne comme dans Casablanca ou dans les films d’Hitchcock ou de Rossellini), c’est une œuvre qui a notamment été nommée aux Oscars pour le meilleur film étranger et le meilleur scénario original.
Le film raconte l’histoire d’Eva, une femme qui décide d’inviter sa mère, une ancienne pianiste de renommée, qu’elle n’a pas vue depuis sept ans. Malheureusement, ces retrouvailles vont rapidement rouvrir d’anciennes plaies et rancœurs.
Outre les thématiques universelles que le réalisateur suédois traite (notamment les espoirs que les parents placent sur leurs enfants), le film est sublimé par la dernière grande performance d’Ingrid Bergman ainsi que par le magnifique travail de photographie de Sven Nykvist.
Sonate d’automne n’est peut-être pas le meilleur film d’Ingmar Bergman mais c’est une excellente porte d’entrée pour quelqu’un qui veut découvrir son univers.
Un été avec Monika (1953)
Un été avec Monika est une œuvre simple mais qui a profondément marqué les esprits, notamment dans la tête des jeunes François Truffaut et Jean-Luc Godard, encore aspirants réalisateurs à l’époque.
Le film raconte l’histoire de deux adolescents en marge, à la lisière de la majorité, qui tombent éperdument amoureux l’un de l’autre. Fuyant la famille et le travail, ils décident d’immortaliser leur amour en partant loin de Stockholm le temps de l’été.
Ce film est aussi l’histoire d’un incident bienheureux. Le film étant tourné avec un tout petit budget, il avait été décidé de stocker les pellicules sur le lieu de tournage. Malheureusement, ces dernières furent inutilisables une fois de retour de Stockholm.
Il fallait donc retourner le film. Et Ingmar Bergman et son équipe ne se sentaient pas d’attaque pour retourner le même film et les mêmes plans. Ils décidèrent alors de faire preuve d’audace et d’inventer au compte-goutte un nouveau film.
Cette audace fut payante. Un été avec Monika est une œuvre qui a redéfinit les codes du cinéma, et qui, à travers notamment de l’iconique regard caméra d’Harriet Andersson, place pour l’une des premières fois le spectateur comme témoin direct du récit qu’il est en train de suivre.
Un été avec Monika est une œuvre douce sur la sortie de l’adolescence, une sorte de teenage movie avant l’heure, qui est une autre bonne porte d’entrée dans le cinéma d’Ingmar Bergman si le noir et blanc ne vous effraie pas.
Persona (1966)
Nous voici encore en noir et blanc avec Persona, l’une des œuvres majeures de la filmographie d’Ingmar Bergman.
Persona nous raconte l’histoire d’Elizabeth Vogler, une célèbre comédienne qui s’est murée dans le silence après une représentation d’֤Électre. Elle est envoyée se reposer au bord de la mer en compagnie d’une jeune infirmière qui va tout faire pour comprendre le mutisme de sa patiente.
Comme souvent dans l’œuvre d’Ingmar Bergman, ce film est intimement lié à sa vie personnelle. Alors qu’il est atteint d’une double pneumonie, cloué sur un lit d’hôpital et muré dans le silence, l’auteur laisse toutes ses pensées dériver dans son esprit. De toutes ses divagations naîtra Persona, un film d’une intensité rare dans l’histoire du cinéma.
Chaque plan est une audace, une envie impétueuse de cinéma qui bouleversera à jamais les codes en vigueur. Il est encore très influent aujourd’hui et nous voyons les motifs de Persona dans Mulholland Drive (2001) de David Lynch, nous voyons des plans calqués à l’introduction dans The Truman Show (1998) de Peter Weir, et l’influence du film se remarque aussi dans des films comme Black Swan (2010) de Darren Aronofsky et Fight Club (1999) de David Fincher.
C’est une œuvre viscérale, simple d’accès, mais c’est surtout une aventure cinématographique, le genre de films qu’on ne voit pas tous les jours et qui nécessite un peu de préparation avant de se lancer.
Scènes de la vie conjugale (1974)
Scènes de la vie conjugale est au départ une minisérie de six épisodes diffusée à la télévision suédoise. Les producteurs, voyant la possibilité de se faire de l’argent, ont monté une nouvelle version pour le cinéma.
Scènes de la vie conjugale raconte comment Marianne et Johann, après avoir vu la dispute d’un couple d’amis, remettent en cause leur propre mariage.
Cette histoire réussit à questionner, à travers des scènes proches du quotidien, le couple et la place de chacun ses membres à l’intérieur de celui-ci. Véritable œuvre fleuve avec une durée qui peut rebuter une partie du public, elle est acclamée à sa sortie en Suède et à l’étranger, remportant énormément de prix prestigieux (le film sera cependant inéligible aux Oscars parce qu’il est sorti à la télévision avant d’être au cinéma, une situation qui nous rappelle étrangement le débat sur les films Netflix).
Scènes de la vie conjugale est un film qui inspirera toute une génération de cinéastes et qui continue aujourd’hui d’inspirer les cinéastes. Des films comme Before Midnight (2013) de Richard Linklater ou Marriage Story (2019) de Noah Baumbach revendiquent cet héritage. Un remake américain de la série est même sorti en 2021 réalisé par Hagai Levi (Our Boys, In Treatment) avec Jessica Chastain et Oscar Isaac.
Un film fleuve, proche du documentaire, qui vaut assurément ses 2h49.
Fanny et Alexandre (1982)
Fanny et Alexandre est le film « testament » d’Ingmar Bergman. C’est une œuvre fleuve de trois heures qui est originellement conçu comme un programme télévisuel de cinq heures coupé en quatre épisodes.
Le film raconte l’histoire d’Alexandre (mais aussi un peu de Fanny), un jeune garçon et sa sœur, qui vont se retrouver confronter à la mort de leur père et au remariage malheureux de leur mère avec un pasteur luthérien tyrannique.
Il y a quelque chose de profondément sincère dans cette histoire d’Alexandre, quelque chose d’intemporel et d’universel dans ce récit familial, dans ses déchirements comme dans ses joies, qui nous amènent du rire aux larmes et des larmes à l’émerveillement.
Ce n’est pas le film le plus connu d’Ingmar Bergman. Il est pourtant peut-être l’un des meilleurs de sa filmographie et de l’histoire du cinéma toute entière. Ce n’est pas un hasard qu’il se retrouve souvent dans les listes des meilleurs films de tous les temps malgré les années. Ou qu’il ait remporté quatre Oscars alors que ce n’est pas un film américain.
Fanny et Alexandre est le film qui ressemble le plus à Ingmar Bergman. On traverse l’intime, le monde de l’enfance, le fantastique, le théâtre, la confusion des genres, la violence, verbale ou physique, tout en gardant de l’espoir, de l’amour et de la joie.
Un film à découvrir, pour sûr, mais après avoir déjà expérimenté le cinéma d’Ingmar Bergman tant il est pluriel et complet.
Et ensuite ?
Si vous voulez continuer sur votre lancée, je vous conseille aussi Cris et Chuchotements (1972), un film tout aussi viscéral que Persona. Il y a aussi La Source (1960), l’un des premiers rape & revenge de l’histoire du cinéma qui va influencer le cinéma d’horreur américain.
Si Scènes de la vie conjugale vous plaît, il y a Sarabande (2004), fausse suite du film avec les mêmes personnages quarante ans plus tard. Le film reprend la même intrigue que celui du premier film mais Ingmar Bergman s’est toujours défendu du terme de suite qui insinuait de reprendre fidèlement la trame.
Jeux d’été (1951) peut aisément se regarder après Un été avec Monika. Le film contient l’une des plus belles scènes de baiser de l’histoire du cinéma.
Si vous voulez explorer le côté religieux, Le Septième Sceau (1957) et Les Communiants (1963) valent le coup d’œil.
Finalement, il y a encore Les Fraises Sauvages (1957) qui parle de la vieillesse et du temps qui passe, L’Heure du loup (1968), et L’Œuf du serpent (1977). Ce dernier est le seul film du réalisateur dans une autre langue que le suédois.
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