L'artiste et la mort - Johnny Cash (2/4)
- Pierre-Edouard Grego
- 13 mars 2023
- 5 min de lecture
Après avoir parlé de David Bowie et de Blackstar, nous allons parler de Johnny Cash et de son dernier album, American IV : The Man Comes Around.
Johnny Cash, le plus Apocalyptique
Johnny Cash, alias l’homme en noir, est un des compositeurs américains les plus connus du vingtième siècle. Son répertoire oscille entre la country, le folk, le rock et le blues.
Johnny Cash est décédé le 12 septembre 2003 d’une défaillance respiratoire résultant de son diabète, soit quatre mois après le décès de son épouse. Il avait déjà des problèmes neurologiques et respiratoires dus au diabète.
Un an avant son décès, Johnny Cash sortit l’album American IV : The Man Comes Around.
L’album est un mélange de reprises et de compositions originales ce qui rend l’analyse intéressante car le choix des chansons est donc primordial pour créer un ensemble homogène. Dans cet album, une thématique ressort bien plus que les autres : la Mort.
Car contrairement à David Bowie, Johnny Cash ne met pas en scène ce qui se passe devant ses yeux. Il ne cherche pas d’échappatoire : il accepte frontalement et presque brutalement ce qui lui arrive. La simplicité de sa musique correspond au message qu’il veut faire passer, car il ne veut pas utiliser d’artifices pour atteindre à toucher : sa musique passe par sa sincérité.
L’album donne toujours l’impression que Johnny Cash est seul avec sa guitare, et pourtant, il a une liste de musiciens éclectiques composés de grands noms de la musique : Don Henley (The Eagles), Billy Preston, John Frusciante (Red Hot Chili Peppers), Mike Campbell (Tom Petty & the Heartbreakers), Nick Cave, etc. Cependant, nous n'entendons jamais cette pléiade d’artistes dans l'album, car Johnny Cash veut créer un espace d'intimité avec son public. Il n’y a pas d’intermédiaire, de sens caché, et l'artiste cherche donc à se montrer sincère dans sa démarche.
L’album débute par une de ses compositions, The Man Comes Around, la chanson-titre, où Johnny Cash dépeint l’arrivée d’un homme qui provoque l’Apocalypse autour de lui. Ce dernier est décrit comme un tyran sans pitié, injuste, qui apporte tant la souffrance que la libération de ces sujets. Ce tyran est expressément nommé à la fin de la chanson et nous permet directement de comprendre le propos de l’artiste.
"And his name, that sat on him, was Death - And Hell followed with him.
Et son nom était la Mort - Et l'Enfer le suivait."
Cette Apocalypse est biblique et nous ramène directement à celle de Jean. Les références sont nombreuses et permettent de rattacher la chanson à la mort telle qu'elle est conçue dans la culture occidentale. Johnny Cash se place dans ce monde défaillant, et utilise de nombreux versets de la Bible afin de rendre la souffrance qu’il vit de façon claire. Nous voyons donc “the virgins (les vierges)”, “one hundred million angels singing (cent millions d'anges qui chantent)”, “Armageddon”, “the four beasts (les quatre bêtes)”, “the trumpets (les trompettes)”... Tant de références connues de tous et toutes qui nous mettent frontalement dans la vision chrétienne pessimiste de l'auteur : la mort est un fardeau qui n’épargne personne, et l’auteur lui-même s’apprête à affronter son Apocalypse.
Dans cet album, toutes les chansons que Johnny Cash reprend passe sous le prisme d’un homme mourant, même celle qui ne parlait pas de ce sujet auparavant.
Hurt en est un bon exemple. Cette chanson parlait originellement d’un homme qui plonge doucement dans la folie : il le sait, son état (sa démence) va blesser les gens autour de lui.
Chez Johnny Cash, c’est un homme seul avec sa guitare et son piano qui conclut sa vie. Il en a déjà fait le tour et en arrive à cette triste idée : quoi qu’il se passe, les erreurs ont déjà été commises et il ne peut plus revenir en arrière. La rédemption est impossible.
"I wear this crown of thorns - Upon my liar's chair - Full of broken thoughts - I cannot repair
Je porte cette couronne d'épines - Sur ma chaise de menteur - Pleine de pensées brisées - Que je ne peux réparer."
D’ailleurs, le clip vidéo de la chanson insiste particulièrement sur ce côté christique et Apocalyptique de sa vie comme nous pouvons le voir dans cet extrait.
Le parallèle entre le Chemin de croix, la Mort et Johnny Cash est assez évident dans cet extrait.
Nous pourrions longuement parler de toutes les références à la mort que Johnny Cash a parsemé tout au long de son album comme dans ses reprises d’In My Life des Beatles, de Personal Jesus de Depeche Mode ou encore I Hung my Head de Sting dans lequel Johnny Cash peut notamment chanter :
"I pray for God’s mercy for soon I’ll be dead
Je prie pour la miséricorde de Dieu car bientôt je serai mort"
Toutes ces chansons nous amènent à nous placer sous la vision d'un homme qui ne cherche plus à se battre mais qui se prépare à affronter le Jugement dernier.
Parmi toutes ces reprises, il y a un détail, un changement qui pourrait être anecdotique à première vue, mais qui renforce cette thèse. Dans la chanson traditionnelle Danny Boy, Johnny Cash modifie une phrase, une seule par rapport à la chanson originale.
"And when you come, and all the flowers are dying - And I am dead, as dead I well may be - You'll come and find the place where I am lying - And kneel and say an "Ave" there for me.
Et quand tu reviendras et que toutes les fleurs mourront - Et je suis mort, aussi mort que je pourrais l'être - Tu viendras trouver l'endroit où je me repose - Et tu t'agenouilleras et feras un "Ave" pour moi."
“If I am dead (Si je suis mort)” de la chanson originale est devenu “And I am dead (Et je suis mort)”, ce qui change totalement le sens de la chanson. Le chanteur se place directement dans l’au-delà et non dans la possibilité, car il sait que son heure est venue et qu’il est prêt à l’affronter.
Toutes les chansons reflètent sa vision pessimiste du monde, dans laquelle nous serions tous pécheurs et donc finalement tous voués à l'Enfer.
Finalement cet album se conclut sur la fameuse chanson We’ll Meet Again popularisée par Vera Lynn en 1939. Cette chanson lui permet de terminer sur une note plus positive, qui correspond toujours à sa vision chrétienne de l’au-delà.
Contrairement à David Bowie, il n’y a pas de résurrection chez Johnny Cash. Peut-être un paradis, certainement un enfer, toujours est-il que pour lui, la Mort est quelque chose de lugubre, triste, qui se réfère immédiatement à sa vision chrétienne et pessimiste de l’Apocalypse. Il insinue à travers son dernier album que nous sommes tous pécheurs, lui en premier, et que nous sommes donc tous voués à l’enfer.
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